Euro inachevé et précaire
- par Pierre Schaeffer
- 6 févr. 2019
- 3 min de lecture

Le vingtième anniversaire de l’euro est celui d’un bilan mitigé, fait d’une réalité économique objective et d’une fiction politique, intimement liée à des accomplissements qui n’ont pas suivi.
Vingt ans après la mise en circulation de l’euro scriptural, suivi deux ans plus tard de l’euro fiduciaire, celui des pièces et billets aujourd’hui en circulation, le bilan économique s’impose. L’euro existe; il a valeur libératoire, une parité stable sur les marchés, 20 à 30% des réserves des banques centrales; il est bien accepté, voire revendiqué par les deux tiers des ressortissants de la zone euro, soit 340 millions d’utilisateurs dans 19 pays. La Banque centrale européenne (BCE), sous la direction de l’Italien Mario Draghi, s’est incontestablement distinguée comme banque centrale indépendante et soutien de la conjoncture par l’injection massive de liquidités dans le système bancaire européen.
Et pourtant, pèse sur l’euro un halo de soupçon tant sa pérennité de monnaie unique n’apparaît pas établie, voire menacée par l’érosion des conditions qui ont accompagné sa création. Deux préalables avaient été affirmés il y a vingt ans pour le lancement de l’euro, aujourd’hui compromis. Il y avait d’abord une volonté politique forte, en particulier dans le tandem Kohl-Mitterrand, suivie en 1993 de la proposition parlementaire Schäuble-Lamers d’un noyau dur de l’Europe.
La réponse de la France fut d’un assourdissant silence et l’Allemagne ne réitérera jamais sa proposition. S’ajoutait une volonté de convergence économique des Etats-membres de la zone euro, implicitement contenue dans la création de la monnaie d’une zone économique appelée à redistribuer les richesses des territoires les plus développés vers ceux qui l’étaient moins. C’est l’objectif de réduction de l’asymétrie, inhérent à toute monnaie unique, comme le vérifie le franc en 1848 et le Deutschmark, monnaie unique de l’Allemagne réunifiée. La RFA paiera pour la remise à niveau de l’ex-RDA et compromettra sa compétitivité, rétablie au forceps par Schröder et son plan déflationniste de baisse des prix et des revenus.
Ces deux conditions qui ont permis la création de l’euro n’existent plus. Le fédéralisme a cessé d’être un objectif de la zone euro qui réduit ses ambitions au respect des traités existants, brutalement rappelé par le premier ministre néerlandais, Mark Rutte, au président français Emmanuel Macron qui proposait un approfondissement de la zone euro. Quant aux conditions économiques de la monnaie unique, c’est-à-dire la correction des écarts de développement pour réduire l’asymétrie entre Etats, non seulement on n’a pas avancé, mais on a reculé en Europe du Sud, Italie et France, qui ont compromis l’impératif de stabilité de la zone euro par les déficits et la dette.
La France ajoute aujourd’hui la crise politique liée au refus d’une partie de la population d’accepter les disciplines de la monnaie unique, le plafonnement des déficits en particulier. La fracture de l’Union européenne (UE) apparaît consommée entre le Nord libre-échangiste et compétitif, adepte de la stabilité monétaire, et le Sud, tenté par le protectionnisme et surtout en mal des habituels placebos du déclin, c’est-à-dire la dévaluation de la monnaie nationale.
Comment arbitrer entre l’incapacité de ces Etats de l’Europe du Sud à respecter les disciplines de la monnaie unique, menace sur sa pérennité, et le précédent du Brexit qui condamne toute sortie de l’Union douanière et monétaire? Si Laetitia Bonaparte observait aujourd’hui l’euro, elle y verrait sans doute quelque analogie avec l’étalon-or, mais elle conclurait, comme au sacre de son fils, «Pourvou que ça doure!»…
Paru dans TRIBUNe janvier 2019
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