Déclin de l'Europe : Et la Suisse dans tout ça ?
- Fabienne Guignard
- 6 févr. 2019
- 5 min de lecture

Je ne vous apprends rien, la Suisse n’appartient pas à l’Union européenne. Mais l’Europe et ses valeurs font irrémédiablement parties de notre histoire helvétique. Alors oui, je me sens européenne. L’Europe est en nous, de l’utilisation de quatre langues nationales dont trois que nous partageons avec des peuples frontaliers à nos goûts culinaires ou culturels. Nous voilà donc davantage latins ou germanophones… Nous croyons au fédéralisme et à la démocratie directe.
Notre neutralité et la valeur travail, avec une grosse dose d’innovation, nous ont permis de ne pas trop compter sur les autres pour nous fortifier et avancer notre petit bonhomme de chemin avec succès. Mais nos échanges permanents avec l’étranger et notre ouverture d’esprit dans le monde des affaires notamment ne signifient pas qu’ils nous faillent, dans le contexte actuel, rester seuls à tout prix et définitivement. Les interactions sont indispensables, les ententes une nécessité mais quand nos partenaires commerciaux les plus proches ont la fâcheuse tendance à se porter de plus en plus mal, il devient difficile de marcher sans fléchir, sans changer un peu la trajectoire de sa route.
Nous voilà en Suisse à la croisée des chemins. Nous voulons conserver notre indépendance, pourtant bien relative déjà, et ne pas entrer dans l’UE qui semble avoir actuellement bien des défauts. Mais comment faire sans elle ? Ce n’est pas possible. Alors comment s’en sortir sans perdre notre âme et nos spécificités suisses ? La voie bilatérale que l’UE ne veut plus est pourtant celle que nous désirons encore favoriser. Les pressions se font sentir de plus en plus avec son président, Jean-Claude Junker, qui joue au pyromane. On le sait aimer à toujours manier la carotte et le bâton. Mais pourquoi n’a-t-il toujours pas compris et ses collègues de la commission avec lui, Moscovici en tête, que le bâton fait trop de dégâts ? Aucune remise en question. L’arrivée en masse de migrants en 2015 aurait pu être un signal. Mais non. Le manque de solidarité entre pays européens, l’utilisation de l’accord de Dublin, bien utile pour se dédouaner (et la Suisse en a bien profité…) n’a pas été l’occasion pour les organes dirigeants de l’UE de se réformer rapidement. De changer les règles du jeu. Mais rien ne s’est fait. On ne voit même aucun fléchissement d’aucune sorte.
Pire en trois ans, la situation politique en Europe s’est détériorée. Cette même commission qui prône à l’envi le besoin de réformes a imposé des règles et des mesures d’austérité qui ont conduit à la précarité. Comment peut-on après cela reprocher à des partis d’extrêmes gauche d’abord puis d’extrême droite d’éclore un peu partout ? Les démocraties, rarement directes ou semi directes, n’ont que l’occasion des élections (municipales, nationales ou européennes) pour marquer le coup.

L’Italie est l’exemple flagrant de ce que peut devenir l’Europe à très court terme sans changement de politique. Un pays coupé en deux sur le plan économique et migratoire. Le Sud subissant de plein fouet tous les effets néfastes. En France l’arrivée avec violence et persistance des gilets jaunes montre l’écart aussi entre deux France qui vivent dans des mondes différents et l’incompréhension de son dirigeant suprême, qui même s’il a souvent raison sur le fond, a tort sur la forme. La France n'est -elle pas la plus oligarchique ou monarchique des démocraties... ? Qui ne vote sur rien et quand elle vote, leurs dirigeants font fi du résultat. Mais étonnant, les citoyens ne sont pas convaincus par le RIC. Peut-être parce qu'ils n'en ont pas l'habitude. La démocratie manifestement cela s'apprend... Et les Français sont en la matière très débutants...
Alors comment cette Europe qui n’écoute plus grand monde peut-elle comprendre le Brexit ? Pourquoi faire de la sortie d’un pays un chemin quasi impraticable ? L’UE fait tout pour susciter encore plus de ressentiment à son égard alors qu’elle devrait faciliter la sortie. Pourquoi dans le même temps impose-t-elle à la Suisse des exigences qu’elle sait être contraires à ses valeurs et traditions ?
L’arrivée au pouvoir de l’extrême gauche de Syriza en Grèce a marqué les esprits. Evénement avant- coureur de la suite en Europe. Rarement un peuple n’a été autant humilié et meurtri. 19% de chômage encore aujourd’hui. 33% de la population en dessous du niveau de pauvreté. 250'000 personnes qui chaque jours vont manger aux restos du cœur offerts par l’église orthodoxe. Et j’en passe.
Au Portugal, dont la situation s’est un peu apaisée par des mesures que le nouveau gouvernement de gauche et d’extrême gauche au pouvoir depuis trois ans ont mises en place, contre l’avis des institutions et du FMI mais qui marchent. Ici aussi la précarité a pris l’ascenseur. Les conditions favorables sur le plan fiscal pour favoriser les investissements européens dans l’immobilier ont fait augmenter le prix des loyers que les autochtones ne peuvent plus s’offrir.
Quelques mots sur l’Espagne citée en exemple à Bruxelles pour son haut taux de croissance du PIB, le premier de l’UE mais avec une pauvreté, comme en Grèce qui atteint, à Barcelone par exemple, près des 30%. Un pays avec un chômage à 15% n’est pas un pays qui va bien. Après l’arrivée en force de Podemos en pleine crise financière, voilà que l’extrême droite vient de pointer son nez au parlement andalou, avec 12% des suffrages. C’est la première fois depuis la mort de Franco, qu’un parti franquiste, Vox, obtient des sièges dans un gouvernement régional. Les derniers sondages montrent qu’il ferait une entrée en force aussi au parlement national dont le gouvernement actuel de Pedro Sanchez (qui a renversé il y a tout juste six mois Mariano Rajoy) ne tient qu’à un fil.
La Belgique vit depuis peu avec un gouvernement ad interim suite à l’éclatement de la coalition au pouvoir. Les Pays-bas ont mis six mois pour constituer un gouvernement de coalition tant les cartes ont changé le panorama du parlement. L’Autriche a déjà son gouvernement droite-extrême droite. Comme le Danemark ou la Finlande. La Suède a suivi le mouvement mais le premier ministre social-démocrate a néanmoins réussi à sauver sa peau. Je ne parlerai même pas de l’Allemagne. Et nous n’avons pas encore parlé des pays de l’est de l’Europe. Quelle sera donc la représentation du prochain parlement européen ? Quelles seront les forces agissantes ? Quelle sera sa nouvelle politique ?
La Suisse dans ce contexte quelque peu effrayant doit-elle accepter un accord aujourd’hui sur la table, que l’UE ne veut pas renégocier ou doit-elle jouer le chrono ? Ne serait-il pas urgent d’attendre même sous la menace de la non reconnaissance de la l’équivalence boursière par exemple ? La prochaine Commission serait pire pour négocier un bon accord, dira Jean-Claude Junker lors d’un entretien avec Darius Rochebin. Vraiment ? On peut sérieusement se poser la question. L’UE paie cher son intransigeance, sa technocratie. Mais malheureusement elle fait courir aussi des risques à ses partenaires les plus fidèles, parmi eux la Suisse. Décidément les petites phrases de Jean-Claude Junker n’auront pas amené de solutions positives. La Roumanie, en charge de la présidence tournante pendant six mois vient d’en faire la triste expérience… Et on s’étonne ensuite que les populistes prennent le pouvoir … Europe ressaisis-toi ! On a tous besoin de toi, une Europe forte et prospère, qui sait prendre sa place dans le monde. ! A ce jour, c’est pas gagné malheureusement.
Article paru dans TRIBUNe de janvier 2019
Comments