La politique se fane : le désamour dans les urnes
- Fabienne Guignard
- 16 nov. 2018
- 5 min de lecture

«Celui qui peut régner sur la rue règnera un jour sur l’Etat, car toute forme de pouvoir politique et de dictature a ses racines dans la rue » dira Joseph Goebbels…Venant d’un homme qui a si bien su maîtriser le concept, on ne peut que se faire du souci en constatant l’actualité de ses propos.
Les peuples ont mené au pouvoir tout à fait légitiment des leaders politiques à l’allure protectrice qui se sont révélés en très peu de temps des dictateurs et tortionnaires d’une efficacité redoutable. Il y a en la matière une récurrence de faits et de comportements qui laisse pantois. Ce que l’on appelle aujourd’hui communément le « populisme » n’est pas autre chose que les prémices d’une escalade du désamour du politique qui mène au pire. Mais la politique n’a-t-elle jamais été aimée ? Au fil des siècles, les intellectuels de tous bords se sont gaussés de l’hypocrisie, des mensonges, de la bassesse du personnel politique de leur époque. On leur prête depuis toujours les plus abjectes intentions, une ambition démesurée, la soif du pouvoir, l’envie de dominer. La conquête du pouvoir est stimulante, gouverner est bien plus compliqué. Il fallait donc des édiles avec une vision qui transcendait les âmes, un cap fixé qui donnait de la force et l’assurance d’un avenir prometteur. Ce n’est pas un hasard si de nombreux hommes de lettres sont devenus des députés influents, qui ont changé le monde. Le verbe haut, la pensée précise, le courage dans l’action leur donnait du panache. Mais le combat politique a toujours été rude et le sera toujours.
Les politiciens, ces bêtes politiques, sont le reflet de l’âme humaine jusque dans ses tréfonds les moins honorables. Mais la politique est pourtant un art noble, millénaire, qui vise à gérer la chose publique. Gérer le bien-être de la communauté, avec en point de mire des actions justes, dirigées vers le mieux. La vie politique est la finalité, la politique, c’est la manière de la mettre en œuvre.
Pour Gandhi «Une loi doit avant tout être juste. Le politique moderne fait malheureusement de la loi un fétiche simplement parce que c’est la loi ». Faut-il obéir à une mauvaise loi ? Thucydide sur la démocratie: « un homme ne se mêlant pas de politique mérite de passer, non pour un citoyen paisible, mais pour un citoyen inutile ». Il ne mâche pas ses mots. Le vote populaire est donc un ciment de la cohésion sociale. Mais les choses seraient-elle en train de changer ?
L’abstentionnisme qui était le signe d’un désintérêt pour la chose publique devient depuis peu (on le voit dans les pays de l’Europe de l’Est et des pays baltes récemment) une arme redoutable pour refuser une loi liberticide ou rétrograde d’un gouvernement populiste. Le NON dans l’urne n’est plus assez puissant pour s’opposer à des apprentis dictateurs. Le refus de voter, revendiqué et assumé comme arme démocratique institutionnelle, pour empêcher la validité d’une votation populaire par manque de participants. Pas de quorum, le vote est nul. Une arme constitutionnelle (pour combien de temps ?) pour éviter l’abus de pouvoir d’une majorité agissante. Voilà donc le dernier recours du peuple pour éviter le basculement vers les extrêmes… Un exemple nouveau des limites de la démocratie telle que nous la concevons actuellement.
« La politique est l’art de commander à des hommes libres » disait Aristote. Eh oui, il nous faut retourner aux racines de nos civilisations pour remettre l’église au milieu du village. Mais qui s’en soucie ? Peut-être manque-t-il à Trump, Salvini, Orban et autre Le Pen d’avoir lu quelques livres fondamentaux sur le respect, le devoir et la démocratie. Un politique cultivé et surtout humaniste vaut mieux qu’un élu imbécile qui ne sait que compter…
Retrouvons vite l’esprit critique pour autant qu’il soit encore enseigné… Manifestement il ne l’est plus… Quand l’élite, oligarchique par essence, est par trop arrogante, l’arbre ne produit pas ses fruits. Pire, elle suscite des réactions "antisystème" par manque d’écoute et de dialogue. Le populisme est donc l’échec d’une bonne politique au service de tous.

«Le vrai politique est celui qui sait garder son idéal tout en perdant ses illusions », dira avec clairvoyance John Fitzgerald Kennedy.
Le pragmatique Jacques Chirac, érudit discret, fait de la politique une définition intéressante : « La politique n’est pas seulement l’art du possible. Il est des moments où elle devient l’art de rendre possible ce qui est nécessaire ». En d’autres termes c’est la cohésion sociale, l’équité, le progrès. Les pouvoirs (législatif, exécutif, judiciaire) doivent non seulement être séparés mais ils doivent surtout être équilibrés. La justice n’a pas pour vocation à remplacer le politique dans une démocratie moderne. Et pourtant…
La politique du café du commerce (moins au bistrot mais sur les réseaux sociaux) est aujourd’hui le maître du jeu… Les Fake news sont un réservoir sans fin à la bêtise humaine et à la manipulation organisée. Qu’il est facile de berner celui qui ne demande qu’à l’être… Ah les théories du complot qui rendent plus intelligents ceux qui y croient… Rien de nouveau sous le soleil pourtant. C’est l’ampleur qui est inquiétante et sa rapidité de diffusion.
Le peuple s’emballe, souvent versatile au gré des circonstances. Le voilà arrivé au bout de sa résistance à ce qu’il considère dans sa vie quotidienne comme une injustice. Le « tous pourris » devient le slogan à la mode, l’injure et la dénonciation un élément de fierté. Quelle honte à l’assemblée nationale française de découvrir les pancartes « Bon débarras » exhibées par les députés de la France insoumise lors du départ de Manuel Valls ! Ce n’est plus du désamour de son personnel politique, c’est de la couardise de certains élus sans éducation qui ne font pas honneur au peuple français. Au peuple tout court.
Le peuple veut aujourd’hui de l’ordre et de l’équité sociale. Et tout ce qui s’y oppose doit être éradiqué : la religion des autres, les étrangers, les élites, les profiteurs… On peut le comprendre ce peuple du monde qui a de moins en moins été écouté et qui suit les péripéties souvent peu glorieuses de ses édiles sur les chaînes de télévision. La politique est spectacle mais peut-être l’est-elle trop.
Le désamour du politique n’est pas une bonne chose. L’homme politique ne peut pas être parfait mais à toujours le dénigrer, la chose publique n’en est pas mieux gérée et la démocratie à coup sûr vilipendée… Pire on se risque à des affrontements que seuls des gens raisonnables sauraient éviter. Alors évitons de les sacrifier par principe sur l’autel d’un bon papier ! Je voudrais conclure par une citation de Nelson Mandela qui a elle seule résume l’enjeu : « La politique devient grande quand elle écoute les petits ». Cela éviterait ainsi les retours de boomerangs que le monde connaît aujourd’hui. Mais pour l’avoir dit, Mandela a fait 27 ans de prison…
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