Coûts de la santé : Ma santé n'a pas de prix, celle des autres OUI...
- Fabienne Guignard
- 31 oct. 2017
- 5 min de lecture

Avoir une bonne santé est un bien très précieux. « Mourir en bonne santé », le vœu de tous. Qui ne se souhaite pas en effet une mort dans son sommeil, paisible, chez soi ? Sauf que cela se passe rarement de cette manière. Quand la maladie s’invite dans votre vie, tout est fait pour qu’elle soit vite un mauvais souvenir. Un accident de sport, une petite infection, la grippe, une indigestion, cela se résout vite fait bien fait. Dans bien des cas sans aller chez son médecin, le pharmacien faisant l’affaire. Sans oublier les remèdes de grands-mères de plus en plus sollicités... Et là on paie avec ses sous… Un petit bobo est souvent le signe qu’il faut prendre soin de soi, qu’un peu de repos ne serait pas inutile, qu’il faut se débarrasser de mauvaises habitudes (stress, sommeil, alimentation, alcool, tabac, etc).
Mais tout n’est jamais si simple. Il y a le bouton « bizarre » qui inquiète, la douleur au genou qui perturbe, une dépression qui déstabilise, un col de fémur qui se casse, une hanche qui se déglingue, un mal d’estomac qui se prolonge. La liste est sans fin. Et il y a les maladies plus graves, chroniques, douloureuses ou sans espoir, dont on sait que le traitement ne traitera pas. Nous voilà donc pour nous, nos proches, à devoir aborder seuls la souffrance physique, morale et l’arrivée prochaine d’une mort inévitable qui fait tant peur. Cette mort que l’on voudrait belle, rapide mais dont le chemin qui mène à elle coûte si cher. Certains diront que la vie n’a pas de prix. Mais ce n’est pas vrai. Sur le plan individuel, éthique et philosophique, elle n’a pas de prix bien sûr mais pour la collectivité elle en a bel et bien un. C’est ce que l’on pourrait appeler le «coût de la mort». Et là, personne ne veut en parler… Omerta sur la souffrance, la fin de vie, ses contraintes au quotidien, l’acharnement thérapeutique ou pas, les soins palliatifs. L’éthique vient à s’immiscer ainsi dans la dure réalité des soins, de ses coûts réels et trébuchants auxquels tous nous participons, de nos propres valeurs personnelles. Alors bien sûr, reprocher à une personne âgée de coûter cher est une hérésie mais peut-être est-il nécessaire d’oser inclure aussi la réalité économique dans nos réflexions parce que la bourse des pouvoirs publics n’est pas extensible et celle des ménages encore moins. Peut-être faut-il briser un tabou comme l’ont fait les Britanniques qui refusent de payer plus de 30'000 livres de frais de santé par an à un patient. C’est diront certains la porte ouverte aux inégalités sociales. Ceux qui auront les moyens de payer plus et les autres. Le choix est difficile, raison pour laquelle personne ne veut s’y risquer.

Au gré de l’évolution des sociétés et des Etats, les systèmes de santé mis en place sont devenus la manifestation d’un droit fondamental reconnu par la communauté internationale, OMS et FAO en tête, question de résoudre les grandes épidémies, de mettre en place des systèmes de prévention dans tous les domaines. Les pays industrialisés visent à donner à leurs concitoyens les meilleurs soins, tenant compte des progrès de la science en matière de médicaments, de technologies avancées, de robotisation des actes médicaux et d’accès aux soins (hospitaliers, ambulatoires ou en consultation privée), d’organisation et de formation du corps soignant, à tous les échelons. La recherche et développement (R&D) permet de donner des soins de plus en plus pointus ; la détection des maladies à leur état embryonnaire permet d’éviter des souffrances plus grandes et trop tardives pour être soignées ; la recherche permanente dans la médication offre de nouveaux traitements sur le marché. Tout paraît idyllique sauf que tout cela a toujours un prix. Nous voilà tous, chacun à notre niveau, troublés par le paradoxe infernal du serpent qui se mord la queue « Je veux sauver ma vie à tout prix, qui n’a pas de prix, mais mes primes d’assurance sont aujourd’hui insupportables pour assurer mon bien-être et celui de ma famille » et l’Etat n’a plus les moyens d’assurer sans réforme fondamentale un financement qui le dépasse et grève trop ses comptes. Les pouvoirs publics sont des acteurs incontournables des soins comme le sont les assureurs, le corps médical et le patient lui-même. Dans les soins hospitaliers par exemple, l’Etat subventionne les coûts de la santé mais pas les frais ambulatoires qui sont entièrement pris en charge par les primes d’assurance. Le citoyen contribuable est ainsi remplacé de fait par l’assuré seul.
L’augmentation vertigineuse des primes-maladie, obligatoires rappelons-le, n’incite-t-elle pas le patient à recourir encore plus que nécessaire aux prestations médicales. « Pour le prix que je paie, je veux le meilleur ». Visites chez le médecin, suivi médical, prévention excessive, scanner, IRM, analyses à répétition, recours aux spécialistes, tourisme médical, recours systématique au système d’urgence, opérations en tout genre, ordonnances pour les derniers traitements, toujours plus chers sont ainsi les ingrédients qui augmentent les coûts. La participation aux frais empêche pourtant les plus fragiles à se soigner correctement. Ils sont de plus en plus nombreux. Les assureurs, ces mal-aimés du système, jouent aux méchants mais sont-ils les seuls responsables de tous ces maux ? Les médecins sous contrôle permanent n’ont-ils pas à jouer un rôle plus rationnel en matière de coûts ? Ils ont trouvé eux aussi les failles du système. Le patient qui change tous les ans de caisse maladie a contribué bien involontairement à l’augmentation des coûts de toutes les caisses. La compétitivité entre caisses n’a-t-elle pas finalement échoué puisque les prix continuent de monter. C’est l’argument récurrent des Pro Caisse unique.
Et il y a le prix des médicaments. La Suisse n’aime pas les génériques. La voilà en queue de peloton de l’OCDE : 22% de part de marché dans notre pays contre 81% en Allemagne, 84% aux USA. Mais les entreprises pharmaceutiques suisses, leader mondiaux, produisent plus de nouveaux médicaments que de génériques. Loi de l’offre et de la demande. Impossible aux autorités sanitaires suisses de négocier des prix, exiger des rabais car en Suisse, transparence oblige, ces rabais seraient obligatoirement publiés alors que dans les autres pays cela n’est pas le cas. Le secret commercial n’étant pas garanti, la Suisse n’a pas de réduction de prix pour son marché intérieur. La transparence a toujours son revers…

La Suisse a dépensé CHF 77 milliards en 2016 (12,4%) du PIB pour la santé. L’égalité, l’équité en matière d’accès aux soins ne pourra plus être assurée si les partenaires de santé ne coopèrent pas mieux, ne se responsabilisent pas plus. La Suisse propose les meilleurs traitements. A n’importe quel prix ? De nombreuses questions se posent : l’assurance obligatoire peut-elle rester obligatoire dans ces conditions ? Les prestations de l’assurance de base devront-elles être drastiquement diminuées ou modifiées ? Les médecins peuvent-ils encore rester une profession indépendante du fait qu’elle dépend principalement des pouvoirs publics et des primes obligatoires ? Tous les traitements sont-ils judicieux quand ils sont trop chers ? Le patient ne doit-il pas redevenir raisonnable ? Comment mieux le responsabiliser ? Quel financement pour la fin de vie ? Comment mieux contrôler les actes médicaux ? Ce qui est sûr, c’est que des réformes drastiques devront être menées et rapidement. C’est une question de survie de notre cohésion sociale nationale. Elle a un prix. Le prix du changement.
Article paru dans TRIBUNe d'octobre 2017
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